La Dordogne: le "sourire" de la France




La Dordogne, c'est le "sourire" de la France. Du Puy de Sancy au Bec d'Ambès, elle arrose plusieurs départements qui ont décidé de mener ensemble une action de grande envergure, originale : l'élaboration d'une politique de gestion concertée de l'eau et de l'environnement. En Février 1992, cette concertation a donné naissance à la Charte de la Vallée de la Dordogne.

La Dordogne prend sa source au Puy de Sancy pour se jeter dans la Garonne au Bec d'Ambès, après une course de 475 km. Les habitants de la vallée sont attachés au patrimoine que représente cette rivière qui les a longtemps fait vivre de la pêche et de la navigation. En effet, toute une activité de navigation commerciale s'était fortement développée au XIXˇ siècle. Les gabarres (embarcations souvent plates utilisées pour le transport de marchandises) descendaient de Corrèze et de Cantal pour aller jusqu'à Libourne, en Gironde. Le trafic fluvial se faisait aussi à la montée jusqu'à Souillac, avec un chemin de halage. Cette activité a disparu avec l'arrivée du chemin de fer.
La vallée de la Dordogne est marquée par sa ruralité. Jusqu'à une période récente, l'agriculture constituait l'activité principale ; d'oť l'importance de l'eau et de la rivière, autour de laquelle une identité forte reste attachée. L'intérêt des habitants et des élus pour la Dordogne explique aussi l'histoire déjà active de la collaboration entre les départements qu'elle arrose. De la création en 1964 de l'Association touristique de la Dordogne, destinée à promouvoir la vallée, à l'opération "Dordogne, rivière propre" menée en 1978, en passant par le "Plan saumon" mis en place en 1975, les exemples d'initiatives ayant débouché sur des actions concrètes ne manquent pas. Aussi, préoccupés par la dégradation de la ressource en eau, les problèmes d'environnement, de déprise agricole, de ce qui fait la spécificité et la richesse de la vallée, c'est tout naturellement que les départements concernés ont décidé, en 1990-1991 de prolonger leur collaboration par une action de grande envergure en créant un établissement public (plus crédible à leurs yeux qu'une association) : EPIDOR (Etablissement public interdépartemental Dordogne)
EPIDOR a été créé le 25 Février 1991, à l'initiative des présidents des conseils généraux des six départements traversés par la rivière: Le Puy-de-D™me, le Cantal, la Corrèze, la Dordogne et la Gironde. Il couvre également quatre régions de programmes : Auvergne, Limousin, Midi-Pyrénées et Aquitaine. Basé à Castelnaud-la-Chapelle, à mi-chemin entre Bordeaux et Clermont-Ferrand, EPIDOR s'est donné pour mission de favoriser un développement coordonné et harmonieux de la vallée, "colonne vertébrale" du bassin.
C'est sur la vallée, donc toutes les communes riveraines et certaines limitrophes, que se concentre EPIDOR, dont les objectifs sont d'assurer la protection et la restauration de l'environnement, d'améliorer la ressource en eau (en qualité et en quantité), d'assurer un développement cohérent des activités économiques liées à la rivière et d'assurer en matière de tourisme, la promotion et le développement d'un "label" vallée Dordogne.
"Il n'existe pas, en France, beaucoup d'établissements publics interdépartementaux s'occupant de la gestion de cours d'eau ; le plus souvent ce sont des syndicats mixtes, explique Sylvain Macé, chargé de mission à EPIDOR. L'originalité d'EPIDOR tient dans le choix des élus d'avoir voulu, avant toute chose, engager une grande consultation de tous les partenaires et acteurs du bassin de la Dordogne pour déterminer les grands problèmes à résoudre". Objectif, amener les gens à se mobiliser, à s'impliquer vraiment et élaborer une politique de gestion concertée de l'eau et de l'environnement qui recueille le soutien de tous : Chambres d'agriculture et autres chambres consulaires, Agence de l'eau, EDF, SNCF, associations pour l'environnement, de consommateurs, de riverains, fédérations de pêche et de pêcheurs professionnels, de chasse...
Organisée en Février 1992, cette concertation (le Sommet Dordogne) a donné naissance à la "Charte de la Vallée de la Dordogne", dont les orientations ont été définies à partir des propositions ("consensus") faites par les différents participants. Sur une liste d'environ 420 consensus dégagés préalablement et débattus au sommet, 370 ont finalement été adoptés ; chaque consensus constituant désormais un objectif à réaliser.
"La charte est un cadre de fonctionnement, précise Sylvain Macé. Elle fixe les orientations de la politique définie par EPIDOR, mais ne détermine aucun délai, ni aucune masse financière. Chaque partenaire, responsable de la mise en oeuvre de la Charte dans son domaine de compétence, mène les actions à son rythme. EPIDOR, qui a un rôle d'interface, de coordination, aide à aller dans le bon sens, mais ne se substitue pas aux différents partenaires. On ne fait rien contre les gens, ni sans eux". Une fois que les secteurs prioritaires ont été définis, EPIDOR assure un suivi administratif et recherche les financements.
"La logique d'EPIDOR, poursuit Sylvain Macé, est de mener une gestion par bassin qui intègre tous les éléments de la ressource en eau. Isolé des grands axes de développement, le bassin de la Dordogne ne s'intègre pas dans les schémas de la DATAR. Notre but est de montrer que notre région a une unité, une identité forte centrée autour de l'eau sur laquelle repose toute l'économie (pour l'alimentation en eau potable, agriculture, tourisme, l'industrie essentiellement papetière). C'est pour défendre cette identité que nous nous proposons de mettre en place un schéma d'aménagement et de gestion de l'eau à l'échelle d'un bassin, et d'élaborer un projet de développement global. Ce projet global comportera une multitude de projets situés dans les six départements, concernant le tourisme, l'aménagement de berges ou le développement agricole, qui devront tous être cohérents avec la Charte.
EPIDOR, qui a un r™le moteur dans la mise en oeuvre de la Charte, a voulu donner l'exemple en mettant en place des actions qui rentrent dans le cadre des compétences directes des départements concernés. "La restauration de la qualité des eaux a constitué notre premier travail, indique Sylvain Macé. Les pollutions s'amplifient régulièrement. La vallée étant rurale, avec peu de grandes villes et peu d'industries, le problème le plus important vient de la pollution domestique : 36% des effluents ne passent pas par une station d'épuration, dont très peu de communes sont équipées".
Un audit sur l'épuration de ces effluents dans les communes du bassin a permis d'identifier un certain nombre de problèmes (les stations ne sont pas toujours bien conçues, ne répondent pas toujours aux besoins des communes dont certaines passent d'environ 500 habitants l'hiver à 2 ou 3000 l'été, ou sont souvent mal entretenues), et de dégager des solutions. Ainsi a-t-il été décidé de rédiger un cahier des charges pour les communes afin de s'assurer de l'adéquation des équipements proposés (pour un usage baignade, le projet doit prévoir un traitement bactériologique), ou de favoriser les regroupements intercommunaux pour permettre l'embauche d'un technicien assurant le suivi et l'entretien régulier de plusieurs stations d'épuration. Ces solutions sont en cours d'intégration dans les politiques des départements dont les subventions seront désormais attribuées en fonction du respect des critères du cahier des charges.
Deuxième voie de travail : les paysages qui, après la qualité de l'eau, constituent l'attrait touristique de la vallée et le cadre de vie de ses habitants. "Parallèlement au lancement, en collaboration avec le ministère de l'Environnement, d'une étude paysagère de la vallée, a été entreprise une démarche de concertation avec les élus locaux, explique Sylvain Macé. C'est le "Plan paysages vallée Dordogne", actuellement en cours. Dès que l'on aura les conclusions de l'étude, on organisera des rencontres et des ateliers de travail avec les élus, mais aussi avec les agriculteurs, les professionnels du tourisme et tous ceux qui, de près ou de loin, ont une influence sur le paysage, afin de trouver des solutions. Ce travail de réflexion et les orientations qui en résulteront, serviront par exemple pour les opérations de remembrement agricole, d'urbanisme ou d'aménagement routier. L'idée est de rationaliser les approches au niveau des paysages.
Autre action engagée par EPIDOR : une étude sur la gestion des berges. "La Dordogne est une rivière ayant une forte dynamique, une pente importante, des courants qui divaguent et provoquent fréquemment des érosions de berges. Les départements ne pouvant faire face à toutes les demandes des riverains, cette action consiste à définir réellement la nature des besoins et à les chiffrer pour demander des aides spécifiques à l'Agence de l'eau, au ministère de l'Environnement, à l'Etat ou même à Bruxelles".
Si aucune action spécifique n'a pour l'instant été menée directement avec les agriculteurs, une rencontre avec les Chambres d'agriculture a permis d'analyser les problèmes (déprise agricole et baisse du revenu dans une vallée oť se cultivent surtout le maïs et le tabac en intensif) et d'identifier les principales orientations à mettre en oeuvre.
C'est le tourisme rural que les Chambres d'agriculture souhaitent développer. Dans une vallée où le tourisme est en plein essor, elles veulent que les agriculteurs puissent en bénéficier en développant de activités de gîte, de tables d'h™tes ou de camping à la ferme. Aussi, face à la grande diversité de situations qui cohabitent dans la vallée de la Dordogne, l'idée d'EPIDOR est de réunir les Chambres des différents départements concernés et de les faire travailler ensemble sur un projet global.
"La diversité est une richesse, soutient Guy Pustelnik, directeur d'EPIDOR. C'est elle qui fait exister la vallée, qui la caractérise, et je voudrais qu'on réussisse à la conserver".
Et de citer l'exemple de la pêche à la lamproie. "Sur la Loire, on pêche de la lamproie, mais il n'existe aucune tradition gastronomique qui y soit liée. La seule dont on parle, c'est la lamproie à la bordelaise, cuisinée dans notre coin. C'est pourquoi notre pêche professionnelle étant malmenée, les conserveurs girondins importent des lamproies de la Loire. Avouez que c'est dommage! D'où notre souhait d'accompagner les pêcheurs de la région, de faire connaître leur production et de les aider à mettre en place une coopérative agricole destinée à valoriser les produits de la pêche de la Dordogne. On est capable de produire bon et diversifié, et les gens ne demandent qu'à acheter les produits du terroir".
Et Guy Pustelnik de conclure : "la vallée de la Dordogne, c'est le sourire de la France. En mangeant des produits locaux, on contribue à maintenir une agriculture active, diversifiée et des produits de qualité, en bref à garder ce sourire. Mais il faut d'abord qu'au niveau local, les gens s'impliquent et agissent, car personne ne le fera à leur place. La Charte vise à faire en sorte que la vallée de la Dordogne devienne telle que les touristes et les habitants ont envie qu'elle soit. Et EPIDOR est un outil à leur service qui ne s'usera que si l'on ne s'en sert pas, ou si l'on s'en sert mal".

Article paru dans le "Bulletin d'information de la mutualité agricole" Nˇ 464 (Mars 1994)