La Garnie, cité commerçante et artisanale

 

Dans les années d'avant la dernière guerre, notre village n'était pas seulement agricole. Il était aussi plein de commerces et d'artisans, je vais essayer de me les rappeler.

Tout d'abord, l'importante maison Estrade, grossiste, expéditeur de fruits : prunes, pêches, pommes, poires et surtout noix. Ces dernières venaient de toute la région, vertes ou séchées, par camion. Traitées dans le grand atelier, elles repartaient claires et brillantes dans des petits ballotins. Cette activité d'écalage employait plusieurs saisonniers chaque automne. Enfin vinrent les fraises qui continuèrent le négoce jusqu'aux années 60-70.

La Maison Broussole offrait des commerces multiples comme en témoignait l'enseigne au dessus de la porte : " Café Restaurant Epicerie Mercerie Broussole". L'épicerie-mercerie occupait la boutique du rez-de-chaussée tandis que le café et le restaurant se trouvaient à l'étage. Il y avait deux salles : une carrée où se tenaient les manilleurs du dimanche et l'autre dans le fond occupée par le billard. En bas, on était reçu par Maria ou Henri, tandis qu'au bistrot, c'était plutôt le père Broussole qui le tenait.

Deux salons de coiffure fonctionnaient le samedi soir : à la "Basse cour", c'étaient les coiffeurs Boyer père et fils (la boutique au rez-de-chaussée existe toujours, je pense, car Claude a continué jusqu'à ces dernières années). Au Bouix, c'était Magne dit "Magnotte". Il avait son salon au premier de la maison dite de chez "Briat".

La menuiserie Charageac : Germain avait son atelier à la porte vitrée qui donne sur la route là où Gabriel range son tracteur. Le père Charageac était un bon menuisier qui savait confectionner charrettes, tombereaux et tout l'attirail nécessaire dans les fermes, mais aussi les cercueils, les meubles, la futaille... c'était un véritable ébéniste et un tonnelier.

Le sabotier Bouny au Bouix dont on peut voir encore la petite boutique qui s'écroule à gauche en entrant dans le village du Bouix. Le père Bouny dit "Pinchou" sculptait sabots, galoches mais aussi les coutières. Pour les galoches, c'était sa femme Philomène qui clouait les cuirs sur les semelles de bois.

Je ne voudrais pas oublier le fabricant de râteaux, fourches en bois qu'était le père Arlivie. François Arlivie dit le "Pèpète" fournissait toute la région en râteaux si légers, car à cette époque on râtelait les prés.

Je ne voudrais pas non plus oublier tous ceux qui dans notre village, avaient un petit métier supplémentaire :

La père Tour, Louis, qui était maçon et savait si bien relever les murs en pierres sèches.

Joanny Magne qui était, suivant les besoins, menuisier, tonnelier ou encore maçon.

Le père Broussole qui faisait fournier et nous cuisait notre pain chaque samedi. J'entends encore sa corne retentissante !

Marie Delmas dite "Marissou", lavandière à domicile et surtout spécialiste dans la préparation du cochon. Sa recette des boudins au lard lui a survécu pour le régal de tous ceux qui "tuent encore le cochon".

Mon père Edouard qui sculptait des jougs dans un tronc de bouleau qu'il avait laissé tremper plusieurs mois dans l'eau de l'étang. Il réparait aussi les pendules.

Je ne voudrais pas passer sous silence tous ceux qui, la veille ou les jours de pluie, fabriquaient des paniers en osier, des bourriches de châtaigniers, ou des paillassons pour le pain.

De même, toutes nos mères qui cousaient, tricotaient à longueur d'années pour confectionner des vêtements et des chaussettes en gardant les vaches ou en les conduisant.

Vous voyez que notre petite cité était industrieuse. Elle aurait pu vivre en autarcie ou presque. On a bien vu pendant cette période, dont les quatre dernières années furent occupées par la guerre, comment on s'est débrouillé. On fabriquait le savon, on préparait du tabac sauvage, on faisait de l'huile de noix...etc.

Je me suis permis de rappeler ce passé des années 34-45 que j'ai bien connu puisqu'il correspond à ma jeunesse. J'espère n'avoir oublié personne de ces aînés dont je rappelle ici les pittoresques activités. Chacune de ces boutiques ou ateliers me remet en mémoire quelques anecdotes :

Chez le menuisier Charageac, on "essayait" parfois le cercueil en cours de fabrication.

Chez le sabotier Bouny, nous les enfants, jouions avec l'aimant de Philomène qui servait à rechercher les clous tombés dans les copeaux de bois.

Au four, c'étaient des rigolades à écouter les réflexions si savoureuses de Broussole le fournier.

Le père Arlivie, "Pèpète", parlait à son bois et il "l'engueulait" méchamment quand il présentait quelques difficultés.

Edmond Rougier