Nos grands arbres

 
Ils étaient de véritables gardiens de nos maisons, ombrageant nos après-midi d’été. Nous les avions vus grandir, vieillir, chacun apportant sa « personnalité » à chaque famille. C’étaient de vrais amis.

« Mais que sont ces amis devenus, que j’ai de si près tenus, je crois le vent les a ôtés …»

En effet, ils ont presque tous disparus, nos grands arbres qui ornaient notre village.
Rappelons-nous, il y a une cinquantaine d’années..

Déjà, à l’entrée du village, de gros noyers nous accueillaient. Deux dans le jardin de Michel Lafage, un grand près de la grange de Michel Rougier et un autre tout au coin de la maison de Gabriel. Ils étaient très hauts, leurs troncs faisaient de véritables colonnes encadrant la route. Leurs branches s’écartaient de sorte que leurs frondaisons se rassemblaient, formant une véritable voûte de feuillage. En pleine chaleur, si l’on faisait une petite halte sous leurs ombrages, on recevait là une bonne impression de fraîcheur. Bien sûr, l’automne venu, les noix, en tombant, se mélangeaient sur la route et posaient quelques problèmes pour déterminer la provenance de chacune…

Un peu plus loin, près de chez Brousolle, se trouvait l’imposant platane. Son tronc énorme, de plus d’un mètre de diamètre, indiquait son grand âge. Dans son large branchage venaient nicher pour la nuit tous les moineaux du voisinage. Dès la tombée du jour ils s’y rassemblaient en faisant un chahut de leurs piaillements.
Ce platane était pour notre génération rempli de souvenirs. C’était là qu’à la belle saison nous nous retrouvions le soir après souper, tous ceux et celles qui avions quinze, vingt ans et même plus. Nous discutions, nous refaisions le monde… Combien de discussions parfois orageuses, parfois pleines de rêves et de romantisme… C’étaient les années d’après guerre, les années cinquante. Bien des flirts, bien des amourettes y sont nés ou s’y sont achevés… Ces soirées étaient quelquefois ponctuées de coup de carabine menaçant les moineaux.

Le platane a une histoire beaucoup plus ancienne. En effet, dans la maison Broussole, au rez-de-chaussée, se trouve encore « la forge » avec son foyer, sa cheminée. Eh oui, il y avait un forgeron dans cette maison. Il a dû exercer jusque vers 1910 environ. Il s’appelait Rougier, mais sans aucune parenté avec les Rougier actuels. Bien sûr, il était maréchal-ferrant. Pour ferrer les vaches, il lui fallait un « travail ». C’était une sorte de petit portique à quatre piliers muni d’une sorte de rouleau. Celui-ci faisait office de treuil pour soulever l’animal et l’immobiliser tandis qu’on lui clouait les fers. Pour assurer sa rigidité, le « travail » était fixé au tronc du platane. Si, au début du siècle dernier le platane était assez gros pour soutenir le portique, c’est dire l’âge qu’avait cet arbre quand on l’a abattu dans les années soixante-dix ! Il aurait pu nous en raconter des histoires, des guerres, des fêtes de la Saint Roch ! On raconte même que la croix de pierre qui se trouve contre le mur de « chez le Sara » était autrefois du côté de chez Broussole mais que les bêtes attendant pour le ferrage l’avaient renversée et qu’on l’avait déplacée de l’autre côté pour sa sécurité.

Un autre platane, non moins plantureux, se trouvait devant « l’ancienne » maison Rougier, dite « chez Picardou ». Il ombrageait le balcon. Moins ancien, il fut condamné et arraché vers 1950, je crois. On lui en avait voulu car ses racines s’enfonçaient sous les murs de la maison et devenaient dangereuses. N’empêche qu’il rafraîchissait bien la maison et cachait les vis-à-vis.

Autour de chez Yves se trouvaient également des grands arbres. Trois ou quatre frênes encadraient « l’étang ». Ils dépassaient les faîtages des maisons et des granges : on les voyait de loin. Je me souviens que dans ma jeunesse j’allais souvent faire la sieste sous leurs ombrages : il y faisait bon. En somnolant, j’écoutais le murmure du ruisseau et le pépiement des oiseaux. On décida d’abattre le plus proche du bâtiment, sous prétexte qu’il abîmait la toiture de la grange. Les derniers ont disparu avec la tempête de 1999. Mais, hélas, on n’en a pas replanté.

En avançant, chez Michel Lafage, on pouvait voir le grand sapin. Très haut, au point qu’il englobait dans son branchage les fils électriques. On avait dû, d’ailleurs, « échancrer » tout un côté pour les laisser passer. Son fut droit et régulier, ses branches bien étalées, lui donnaient une allure assez majestueuse. Sur le côté, un rosier grimpant l’escaladait jusqu’à mi-hauteur ; ses roses jaunes faisaient un contraste surprenant avec le vert vif des épines du sapin. C’était vraiment l’arbre pilote. Il indiquait en quelque sorte l’adresse de chez Lafage : « c’est la maison du grand sapin : vous ne pouvez vous tromper ».
Lui aussi a été condamné au moment de la réfection de la maison il y a quelques années.
 
Devant chez Veyssière se trouve également un grand tilleul. Sa grande ramure procurant un large ombrage a rendu bien des services quand la fête de la Saint Roch se déroulait à cet endroit.
Ce brave tilleul n’est pas très vieux. Sauf erreur, il ne doit pas avoir mon âge : tout au plus soixante dix ans. Il ne semble pas menacé pour l’instant.

Au coin du portail de chez André Vigne, se trouvait également un gros tilleul qui parfumait bien le quartier chaque printemps. Il servait aussi de repère pour la maison Vigne, bien utile dans notre village où aucun numéro ni nom de rue n’indique l’adresse des habitants.

En arrivant au « Pradel », nous trouvons toujours avec le même plaisir le « grand tilleul » de chez Darlavoix. Il est immense, son gros tronc est remarquable et son branchage ombrage bien les bâtiments environnants. Ce tilleul est très ancien : il servait de rassemblement aux jeunes pendant les soirées d’été. Il a dû en entendre des potins, des ragots, durant son existence. Heureusement, nos amis les arbres entendent tout, mais gardent tout dans leur mutisme discret. J’espère que les nouveaux propriétaires ne le condamneront pas et qu’il survivra aux transformations des bâtiments.

Au Bouix également des arbres entouraient les maisons. A l’entrée, de grands noyers ombrageaient autrefois le « Coudert ».

Devant chez Jean-Marie Roume se trouvait un énorme acacia dont la cime dépassait largement le sommet de la maison pourtant très haute. Dès le matin, il projetait son ombre sur le balcon et l’entrée de la maison… Lui aussi a disparu… Peut-être de vieillesse ?

Devant la grange d’Alberte Bouny subsistait encore un sapin. Trop secoué par la tempête de 1999, il n’a pas résisté.

Tous ces grands arbres embellissaient bien le village et, l’été, leur ombrage gardait un peu de fraîcheur. Leur disparition a « comme dénudé » le village.

On dirait qu’il fait plus chaud aujourd’hui à La Garnie.

Edmond Rougier